mercredi 3 décembre 2008

Ne vous mettez pas hors-la-loi

Maltraitance ne vous mettez pas hors-la-loi
La sanction est sévère : c'était ce qu'avait demandé l'avocat général. La semaine dernière, deux généralistes ont donc été condamnés par la cour d'assises de Douai à trois ans de prison avec sursis et respectivement 75 000 et 60 000 euros d'amende pour non-assistance à personne à danger. Les deux médecins avaient reçu en consultation le petit Marc, cinq ans, respectivement vingt-sept et neuf jours avant sa mort. Victime de coups et sévices répétés de la part du nouveau compagnon de sa mère, le petit garçon avait subi pendant plus d'un mois un véritable calvaire.
«Je n'ai pas suivi le procès, explique le Dr Vincent Hélis, généraliste installé dans les Deux-Sèvres. Mais au-delà du caractère tragique de cette affaire, les médecins généralistes ne sont pas démunis face à la maltraitance envers les enfants. Il existe des séances de FMC sur le sujet: quels signes rechercher et à qui nous adresser. Pour ma part, je contacte les services de protection maternelle et infantile ou d'aide sociale à l'enfance», développe le praticien.
Comme la plupart de ses confrères que nous avons interrogés, le Dr Hélis n'a pas entendu parler des cellules de signalement de l'enfance en danger, censées désormais faciliter la tâche des professionnels. Un an et demi après la promulgation de la loi du 5 mars 2007, portée par le ministre de la Famille de l'époque, Philippe Bas, la nouvelle organisation des procédures de signalement apparaît toujours méconnue. «Logique, plaide son auteur, car tous les textes réglementaires ne sont pas encore parus.» Mais ce dernier veut croire que l'ensemble de sa réforme, dont le coût est estimé à 150 millions d'euros par an, sera opérationnel l'an prochain (lire entretien en page suivante).
Une cellule de signalement par département
Concrètement, cela signifie que chaque département sera bientôt doté d'une cellule de signalement de l'enfance en danger. Selon la dernière étude de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée, en novembre de l'année dernière, «seuls 51% des départements avaient déjà installé ce type de structure». Au chapitre des évolutions positives, cependant, l'institution relevait, dans le même temps, une meilleure coordination entre les acteurs, puisque «même sans la création d'une cellule formalisée, huit départements sur dix ont mis en place une centralisation des informations préoccupantes dont le conseil général est directement saisi».
Ce défaut de communication, il n'est pas le seul à en faire le reproche aux pouvoirs publics même si, au fil du temps, les généralistes ont développé, avec l'expérience, des réflexes-types, à l'image du Dr Patrick Vuattoux. Pour ce généraliste qui exerce dans une maison de santé à Besançon, la procédure est rôdée. «Quand j'ai un doute, j'utilise souvent la carte de l'hospitalisation. Cela permet de faire un bilan en urgence des lésions physiques, mais également de retirer l'enfant de son milieu familial où l'on ne sait pas très bien ce qu'il se passe. J'essaie toujours d'avoir l'accord des parents pour ce bilan. J'y adjoint, bien sûr, un courrier à mon confrère hospitalier, mais je prends aussi toujours contact avec lui par téléphone». Une procédure que le médecin du Doubs a développé conjointement avec ses huit confrères de la maison de santé où il exerce. «Il est fondamental que le médecin traitant ne reste pas seul avec ses doutes, surtout face à des cas difficiles qui sont à la jonction du médical, du social et du judiciaire», conclut-il.
« Mais il est tout aussi essentiel que nous sachions comment fonctionne le système, et que ce dernier soit efficace», diagnostique pour sa part sa consoeur de Rennes, le Dr Sidonie Chhor. Dans son collimateur, le peu d'effet, a priori, de la systématisation de l'entretien du quatrième mois de grossesse, également initiée par la loi Bas. Il s'agit en l'occurrence d'une consultation qui dépasse le seul cadre de la maltraitance pour s'intéresser au risque plus global « grossesse et parentalité ». «Je connais bien ce dispositif parce que j'ai fait ma thèse dessus l'année dernière.» Sur le volet théorique, la jeune Rennaise d'adoption reconnaît tout l'intérêt de l'existence d'une telle formule. Seulement, lorsque sur un plan plus pratique, le Dr Chhor assiste à une séance de formation continue sur le sujet, même la pédopsychiatre – qui s'adresse tant aux infirmières, qu'aux sages-femmes ou aux gynécologues – reconnaît qu'en définitive, personne ne sait encore aujourd'hui quels conseils donner aux médecins face à des patientes qui viendraient les consulter et qui détecteraient des conduites à risque dommageables pour l'enfant. «Le circuit social fait ses preuves. En revanche, sur le volet médical, nous restons encore désemparés. Heureusement, on peut toujours recourir au réseau périnatalité». Ou adresser directement un signalement au procureur de la République, en remplissant le modèle-type, élaboré conjointement par le ministère de la Justice, de la Santé et de la Protection sociale, de la Famille et de l'enfance, des associations de protection et du conseil de l'Ordre. Car l'article 44 du code de déontologie impose en effet au médecin «de signaler les sévices à enfant dont il a connaissance». C'est d'ailleurs là une exception notable au secret médical, même s'il est notoire que cette procédure de signalement au procureur n'est pas celle que préfèrent adopter les praticiens.

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